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« Avec ma peinture, je vais à l’essentiel », dit parfois René Casha.
La répugnance de l’artiste à discourir, l’inutilité dans laquelle il tient le verbe, le primat qu’il accorde au geste qu’on peut imaginer nerveux, sont une évidence : René Casha fuit la théorie et s’intéresse peu aux systèmes.
Retrouve t’on une telle humilité dans les grandes toiles séduisantes du peintre qui sont systématiquement de format carré? Sans aucun doute.
Dans ces grands formats dédiés à des abstractions aussi pures qu’exigeantes se promènent d’autres carrés, petits ou gros, équidistants, aux bords imprécis et écornés. Ces cubes, ces carreaux – peu importe leur dénomination puisque le propos ici n’est pas de nommer mais de faire, de peindre – ne communiquent pas entre eux : ce sont les barreaux de raies verticales noires, de droites incertaines qui les séparent. Ces petits carrés se jouxtent, sauf exception, de guingois ou en équilibre sur un de leurs coins. Librement disposés entre les travées sombres, ils sont comme des ludions, dégringolent ou montent, se promènent à pas tranquille.
Les barres noires qui savent éviter la tentation du cordeau se télescopent-elles quelque part dans le hors champ de toile? Car on pourrait imaginer qu’à l’extérieur du tableau sont volontairement rejetées toute espèce de confrontations ou d’anxiété.
L’espace des toiles de René Casha, régi – on l’aura compris - par une mise en ordre impeccable, est réservé à ce que la représentation peut produire de plus calme et de plus pacifique. Si les tableaux vibrent mystérieusement, on reste dans l’ignorance de ce qui est comméré.
Il y a aussi une toile dévolue au bleu, avec une profusion de carrés. Cette toile est, comme les autres, d’une beauté sans complexe, elle s’impose avec une évidence qui ne marchande pas. Les carrés innombrables s’y chevauchent, s’interpénètrent, leur densité qui est variable donne le tournis. Ils sont en ordre serré comme la tortue formée par l’armée romaine face à l’ennemi. Et si l’œil ne trouve pas d’interstices, il parcourt avec plaisir cette surface saturée, il accepte le tranquille jeu de marelle élégamment proposée par l’artiste.
J’ai entendu René Casha prononcer le mot « flou » à plusieurs reprises. Rien n’est flou pourtant dans son atelier ou dans sa pratique : production abondante et bien rangée ; travail tenace, sûreté des parti pris. Et la rapidité d’exécution! Un pinceau passe à plat, brièvement sur la toile, les pressions lestes qui narguent toute répétion font penser à Hantai. Au final, les couleurs primaires se détachent magistralement sur les impérieux fonds blancs.
Flirt avec le minimalisme? Oui. A quoi celui-ci pourrait-il correspondre? Peut-être que René Casha invente une peinture du retrait. Il a senti que ce moment très long, sans fin, où l’on est à deux doigts de se retirer de tout, constitue en fait un territoire inexploré de la peinture : on a quitté une partie de sa propre vie, on s’est détourné des concepts en vogue dans les arts plastiques, on peint avec le minimum. Le temps du retrait devient alors une fausse friche. Celle-ci, noble et étrange, peut tout donner.
Michel Assas
Critique: Bio
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